lundi 26 novembre 2007

La mise en scène

Le théâtre est un lieu
« où chacun est amené à se voir
dans la violence de ce qui le lie
à la collectivité et à l’univers,
tout en l’en séparant ».


Radovan Ivsic









Mettre en scène aujourd’hui Le Roi Gordogane c’est, pour moi, continuer de travailler l’universalité du théâtre, en tant qu’art vivant touchant à l’humanité de chacun, en sortant des sentiers du tout-réalisme.


De la plus ou moins grande distance avec le réel dépend
la plus ou moins grande portée de l’interrogation théâtrale
- Radovan Ivsic –


Pour permettre au texte de prendre vie dans toutes ses dimensions, je choisis d’assumer pleinement LA CONVENTION DU CONTE établie par l’auteur. Et, le théâtre de Radovan Ivsic étant un théâtre organique, c’est par UN THÉÂTRE DE CORPS qu’il sera incarné.


La mise en scène fait appel à L’ENFANCE et au pouvoir de L’IMAGINAIRE pour révéler une réalité crue et permettre au spectateur de pénétrer dans cet univers où tout est possible, où le comique, le tragique, le poétique, le politique, le philosophique se croisent ou se rejoignent. On entre dans Le Roi Gordogane comme on entre dans la vie : par le chemin de l’enfance, son innocence, sa spontanéité, sa cruauté, son sens du jeu dans ses diverses acceptions.
Car quoi de mieux que l’enfance pour faire résonner la vie dans toute sa douceur et toute son âpreté ?
À travers ce prisme, on peut tout dire et la dureté du propos peut être entendue.
De plus, le spectateur est invité à engager son propre imaginaire et à s’approprier l’histoire.

Ainsi, le comédien, adulte, ne joue pas l’enfant, mais investit l’histoire à la manière de gamins jouant au prince et à la princesse qui créent leur monde avec trois bouts de ficelle, mais dans un engagement total, une sincérité profonde et une conviction inébranlable. Il s’agit pour lui de rappeler l’enfant qui est en chacun de nous, de retrouver sa vision du monde et sa créativité naturelle.
La scénographie se veut donc épurée, faisant place à l’inventivité.

Comme l’espace surréaliste du conte est à créer, l’espace de jeu est à inventer, le plateau nu à transfigurer.
Un traçage au sol à vue, son effacement et sa transformation au gré des actions des comédiens définissent les espaces du palais ou de la forêt, évoquent le bac à sable, le temps de l’insouciance comme celui du parcours initiatique, mais aussi la matière première de vie et de mort qu’est la terre.

- Le Fou : Tout ce que le berceau berce, la bèche l’enterre …
La poussière se promène sur la poussière.

Deux chaises d’écoles, sous l’impulsion des comédiens, figurent tour à tour un gourdin, un trône, un cheval, la Tour Blanche, un gibet. Ce mobilier du quotidien de l’enfance, support de nos premières appréhensions de la vie en société, fait écho à la fonction éducative du conte qui participe à notre apprentissage de ce que signifie être au monde. Son détournement, sa manipulation renforce la convention théâtrale et le pouvoir créateur de l’imaginaire du spectateur.

La mise en espace exploite profondeur, hauteur, éloignements, rapprochements, contacts et un jeu de lumières sobre mais précis vient mettre en relief les contours immatériels des différents lieux d’action créés par le comédien. Quelques accessoires tout droit sortis de l’imagerie enfantine viennent compléter des costumes contemporains, maintenant le fil entre poésie de l’enfance et actualité du propos.

LE CONTE, dans sa vocation initiatrice, interroge les fondamentaux de l’humain de manière latente, au travers d’un sujet apparemment léger et archétypal.
Afin d’ouvrir la réflexion sur l’âpreté du propos politique et social du Roi Gordogane dénonçant les dérives du pouvoir et la montée des individualismes, sans imposer quelque jugement que ce soit, il me paraît nécessaire de laisser le jeu de l’inconscient, tant individuel que collectif, se faire.
Par le truchement des conventions théâtrales et enfantines, la force des idéaux légendaires rencontrera la violence d’une réalité impossible à nier.

Aussi, je choisis de faire évoluer les degrés de distanciation au cours de l’action, passant notamment par la notion de théâtre dans le théâtre et une codification du jeu et des espaces qui se délite au fur et à mesure jusqu’à atteindre, non pas le réalisme, mais la réalité tangible : celle de la matière chair.
Rêve et réalité seront au coude à coude dans le jeu des matières (corps, terre, objets).

La création des personnages typiques du conte de fées est issue d’un travail corporel qui détermine l’identité visuelle et émotionnelle de chacun dans le kaléidoscope humain, et pousse ses formes jusqu’à illustrer les visions tranchées de la tradition du conte : le lyrisme excessif et contrasté du prince amoureux transi (Tinatine) s’exprime dans une gestuelle fluide et haletante jouant entre espoir et désespoir ; le Chevalier, symbole du sauveur sans peur et sans reproche, trouve les principes de sa mission dans une forme mécanique, rappelant les robots nichés sur les étagères des chambres d’enfants ; le méchant roi ubuesque (Gordogane) envahit tous les espaces dans une attitude large et maladroite ; etc.
Ce code de jeu aux accents naïfs s’effacera progressivement, au gré de la montée des tensions dramatiques, sans dénaturer les personnages mais dans une sorte de dénuement, les rapprochant petit à petit de la simple condition humaine.
Cependant, le moindre des personnages aura pris chair et vie par l’incarnation du comédien, y compris le Perroquet ou l’Oiseau que l’on pourrait croire accessoires ou reléguer au rang d’élément de décor.

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